Les services d’urgence en état de crise — Dre Elyse Berger Pelletier et David Gagnon

39 min | Publié le 25 avril 2024

Entre les pénuries de main-d’œuvre, l’épuisement des médecins, la fermeture de services et les longs temps d’attente, il ne fait nul doute que les services d’urgence du Canada sont engorgés. Certains services d’urgence sont si occupés que les corridors sont remplis de patients qui peuvent attendre plusieurs jours sur une civière avant d’être admis ou qui, dans certains cas, décident de partir sans avoir obtenu de soins. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Alya Niang s’entretient avec des travailleurs de première ligne au sujet de la crise qui sévit dans les services d’urgence du Canada, de ses répercussions sur les travailleurs de la santé et les patients, ainsi que des mesures prises pour réduire le fardeau :

  • Dre Elyse Berger Pelletier, directrice des services professionnels, CIUSSS de la Capitale-Nationale, et médecin d’urgence, CISSS de Chaudière-Appalaches;
  • David Gagnon, ambulancier paramédical et vice-président de la Fraternité des travailleurs et travailleuses du préhospitalier du Québec.

Cet épisode est disponible en français seulement. 

Transcription

Alya Niang
Partout au Canada, les salles d’urgence subissent une pression extrême.
Les données les plus récentes montrent qu’il y a plus de 15 millions de visites aux urgences par an, avec des attentes plus longues pour ceux qui attendent un lit, ce qui entraîne un encombrement.
Les études montrent que des attentes plus longues entraînent de moins bons résultats, avec un risque de décès plus élevé. Dans l’épisode d’aujourd’hui, nous examinons de plus près cette crise nationale des urgences avec deux personnes en première ligne. L’un est le paramédic David Gagnon.

David Gagnon
Je dirais que ce qui saute aux yeux, c’est vraiment des salles d’attente qui sont bondées. Je dirais qu’on voit beaucoup de gens qui sont en attente de recevoir des soins. Les gens qui sont sur civière aussi, on en voit beaucoup qui attendent plusieurs heures pour avoir accès aux soins.

Alya Niang
Ensuite, nous discuterons avec la docteure Élise Pelletier de la Capitale-Nationale sur ce qu’elle voit en première ligne et sur les solutions nécessaires pour que les Canadiens reçoivent des soins en temps opportun.

Élise Pelletier
Entre mon début de pratique, en 2011 et maintenant, je vois quand même une augmentation phénoménale de l’achalandage, de l’acuité, à quel point les patients qui se présentent sont de plus en plus malades avec plusieurs pathologies, à quel point les personnes âgées fréquentent davantage nos urgences au Canada.

Alya Niang
Bonjour et bienvenue au balado d’information sur la santé au Canada ou encore le BISC en abrégé. Ici Alya Niang, l’animatrice de cette conversation. Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’ICIS, mais il s’agit d’un échange ouvert. Et celui-ci porte sur les soins d’urgence, la dernière ligne de défense lorsque nous sommes blessés ou gravement malades, un filet de sécurité dont certains pensent est en train de s’effondrer.
Alors, nous avons avec nous aujourd’hui M. David Gagnon, paramédic et vice-président de la Fraternité des travailleurs et travailleuses du Préhospitalier du Québec, c’est-à-dire la FTPQ, Bonjour M. Gagnon, bienvenue au balado.

David Gagnon
Bonjour, merci beaucoup.

Alya Niang
Alors, cela fait 15 ans que vous êtes paramédic sur la rive sud de Montréal.

David Gagnon
Oui, effectivement, j’ai commencé il y a 15 ans, ça fait 15 ans à Noël.

Alya Niang
Parfait, et j’imagine que vous avez tout vu. Aujourd’hui, nous parlons de la situation des soins d’urgence au Canada. M. Gagnon, combien de fois par semaine vous retrouvez-vous aux urgences d’un hôpital avec un patient?

David Gagnon
Je vous dirais que le nombre de patients, ça peut dépendre en fonction de l’endroit où on travaille, surtout du secteur sur lequel on est appelé à travailler. C’est sûr que moi, je travaille en banlieue de Montréal, donc étant en banlieue de Montréal, je vous dirais que nous, dans le secteur d’opération où moi je travaille, il n’y a pas d’hôpital dans le secteur. Donc, on doit toujours sortir de notre secteur pour aller dans un hôpital. Grosso modo, un appel va nous prendre en moyenne à peu près deux heures, à partir du moment où on reçoit l’appel dans notre terminal, puis le moment où on termine et on devient libre à partir de l’hôpital.
À ce moment-là, quand on fait des journées grosso modo de douze heures environ, on peut compter entre quatre et six appels par quart de travail.

Alya Niang
Ce qui fait que vous avez donc une bonne vue d’ensemble de ce qui se passe à ce point d’entrée du système de santé?

David Gagnon
Oui, je vous dirais qu’on a vraiment un point de vue qui est quand même assez unique sur ce point d’entrée là qui représente la salle d’urgence dans le réseau de la santé. C’est sur qu’on y passe beaucoup de temps, on interagit avec presque tous les intervenants qui sont dans la salle d’urgence. Donc, ça va de la préposée qui est à l’accueil, aux gens qui assurent la sécurité, aux gens qui assurent l’entretien. C’est sûr qu’on parle aux médecins aussi. Nos intervenants, les intervenants avec lesquels on a le plus d’interaction, c’est souvent les infirmières, les infirmiers, les préposés aux bénéficiaires aussi qui nous donnent un coup de main. Donc, je vous dirais qu’effectivement, on a la chance d’avoir un point de vue assez unique, à la fois extérieur, mais à la fois intérieur sur les salles d’urgence.

Alya Niang
Parfait. Et comment décririez-vous le changement que vous avez observé à ce point d’entrée au cours des 15 années pendant lesquelles vous avez été paramédic?

David Gagnon
J’aimerais vous dire qu’il y a eu beaucoup, beaucoup de changements en 15 ans, mais le processus par lequel on transfère la responsabilité de nos patients au personnel de la salle d’urgence est resté sensiblement le même. Je vous dirais que ce qu’on remarque, par contre, c’est les délais qui sont beaucoup plus longs maintenant. Donc, le délai entre le moment où on se présente à l’hôpital, à la salle d’urgence, et où notre patient, on transfère la responsabilité de notre patient à l’hôpital, ça, c’est le moment qui a le plus changé parce que le délai s’est beaucoup, beaucoup augmenté.

Alya Niang
Racontez-nous un peu. Nous savons tous en ce moment ce qui se passe, en fait, dans les salles d’urgence. Il y a une crise. Vous amenez un patient sur une civière, vous passez les portes coulissantes. Qu’est-ce que vous voyez davantage maintenant quand vous entrez?

David Gagnon
Je vous dirais que ce qui saute aux yeux, c’est vraiment… C’est des salles d’attente qui sont bondées. Je dirais qu’on voit beaucoup de gens qui sont en attente de recevoir des soins. Les gens qui sont sur civière aussi, on en voit beaucoup qui attendent plusieurs heures pour avoir accès aux soins. Ces patients-là, malheureusement, ce qu’on remarque, c’est qu’ils ne sont pas là nécessairement par choix. Ils sont là parce que soit ils ne connaissent pas les autres portes d’entrée dans le système, ou que ces portes d’entrée là ne leur sont pas disponibles à eux pour toutes sortes de raisons. Je vous dirais que c’est ce qui saute aux yeux, plus que le processus en tant que tel a très peu changé, mais c’est vraiment comment on traite les patients et comment on sent une espèce d’état dans lequel les patients ne savent plus trop où s’en aller. Et la dernière option qui leur reste, c’est la salle d’urgence.

Alya Niang
Et M. Gagnon, avez-vous déjà vu des patients dans des endroits inhabituels, aux urgences? Je pense qu’on les appelle des endroits non conventionnels.

David Gagnon
C’est arrivé, on voit parfois effectivement des lieux qui sont convertis pour recevoir des patients. Je dirais que oui, on voit des patients qui ne savent plus où s’installer quand ça fait des heures et des heures qu’ils attendent. Donc, des fois, des patients qui vont s’installer près de prises de courant. Je vous dirais que ça, c’est quelque chose qui est assez fréquent. Les prises de courant ne sont pas toujours à côté d’une chaise, donc ils vont s’asseoir dans le corridor.
Nous, une situation qu’on a dénoncée dans un hôpital de la Rive-Sud qui nous avait beaucoup choqué, c’était souvent des gens qui sont décédés, qui étaient laissés carrément dans des endroits qui n’étaient pas corrects. Dans cet hôpital-là, on croisait littéralement des patients, avec nos patients, en entrant dans l’entrée des ambulances, l’entrée dont on se servait pour entrer, on croisait des civières sur lesquelles il y avait malheureusement des gens qui étaient décédés. Je dirais que ça, c’est les bouts qui étaient les plus difficiles, qui ont été les plus difficiles.

Alya Niang
J’imagine. Moi, j’ai été aux urgences, mais j’ai eu à voir pendant des heures, donc pendant ces heures-là, j’ai eu à voir des patients qui étaient sur leur lit, mais qui étaient vraiment installés sur le corridor, parce que peut-être, j’imagine, il n’y avait pas encore de chambre disponible.

David Gagnon
J’aimerais vous dire que c’est non conventionnel, ça, mais je vous dirais que c’est dans le réseau de la santé, malheureusement, le non conventionnel, des fois, devient rapidement une habitude. Donc, oui, des civières installées dans des corridors, je dirais que maintenant, ce qui devait être temporaire est devenu permanent. On installe même des rideaux pour leur donner un petit peu d’intimité. Mais effectivement, ce ne sont pas des endroits qui sont convenables. Ça, c’est clair. On a beaucoup de salles d’urgence au Québec qui sont vétustes. Je vous dirais que quand il y a des rénovations, quand on remet à neuf des salles d’urgence, quand on ouvre des nouvelles salles d’urgence, habituellement, c’est des choses auxquelles les gens qui étaient en charge des projets ont pensé. On en voit moins, mais on en voit quand même.

Alya Niang
Parfait. Et pouvez-vous décrire le personnel? C’est-à-dire, nous entendons dire que tous les médecins, les travailleurs de première ligne, les infirmières travaillent très dur. Que voyez-vous?

David Gagnon
Effectivement, on voit des collègues de travail. Pour nous, on les considère comme des collègues de travail, qui sont effectivement à bout de souffle souvent, qui travaillent de très, très longues heures, qui vont des fois avoir même à travailler des 16 heures en ligne plutôt que des 8 heures habituelles qu’eux le font. On voit des gens qui sont, oui, au bout du rouleau, mais qui sont toujours accueillants, qui sont toujours dévoués à la tâche importante qu’ils ont à faire.
Sans le personnel des salles d’urgence, je pense que le système s’effondrerait parce que c’est vraiment… C’est la soupape. La salle d’urgence, on ne peut pas repousser quelqu’un. On ne veut pas lui dire non, non, non, on ne traitera pas. On ne peut pas fermer, comme on ferme des étages, fermer des lits, on ne peut pas fermer l’urgence. L’urgence, mais enfin, dans un monde idéal, on ne fermerait pas des salles d’urgence. Malheureusement, des fois, au Québec, on les ferme, mais je me dirais que c’est des gens qui sont vraiment d’une dévotion envers les patients, envers les soins qu’ils donnent, d’un professionnalisme aussi exemplaire.

Alya Niang
C’est rassurant de l’entendre. Alors, M. Gagnon, j’aimerais savoir, que devrait-il se passer, comment cela devrait-il fonctionner dans un monde idéal pour vous permettre de faire votre meilleur travail et de voir les urgences fonctionner efficacement?

David Gagnon
Ça va retoucher un peu ce que je vous ai dit tantôt, mais je pense que dans un monde idéal, on utiliserait l’expertise des paramédics de façon plus efficace, je vous dirais, de façon vraiment plus large. Nous, à la FTPQ, c’est quelque chose pour quoi on milite. On milite, entre autres, pour l’élargissement du spectre de ce qu’on peut faire dans le réseau de la santé. Malheureusement, ce qu’on réalise souvent, c’est qu’on se bute à l’espèce de système privé.
Ce que les gens réalisent rarement, c’est qu’au Québec, à part à Montréal et à Laval, où c’est la corporation publique Urgence santé qui administre les services ambulanciers, partout ailleurs en province, ce sont des entreprises privées qui font ça, qui offrent ce service-là. Des entreprises qui sont très, très lucratives parce que, dans le fond, elles bénéficient, dans leur zone d’opération, d’un monopole. Il ne peut pas y avoir d’autres entreprises ambulancières sur un secteur donné. Avec ça, ils bénéficient d’un financement 100 % via de l’argent public. C’est clair que c’est un modèle qui, trop souvent, nous laisse sur une espèce de voie de garage. On a une grosse réforme dans le milieu de la santé en ce moment qui se prépare.
Encore une fois, on n’a presque pas touché aux soins préhospitaliers d’urgence alors qu’on est une ressource de première ligne. On est une ressource de première ligne qui pourrait en faire plus et qui, en ce moment, n’en fait pas plus parce qu’on est avec… Moi, mon employeur, c’est une entreprise privée et les entreprises privées, dans chaque partie, chaque secteur qui leur appartient, travaillent un petit peu en silo même par rapport au reste du réseau de la santé.
Une meilleure intégration des services préhospitaliers d’urgence via la nationalisation, nous, on ne se cache pas pour le dire, on pense que c’est vraiment la solution pour rendre tout le système de soins préhospitaliers d’urgence beaucoup plus efficace, ça serait de nous intégrer. En ce moment, au réseau public, qui nous permettrait, comme je vous disais, d’étendre notre champ d’action et qui nous permettrait, par exemple, d’avoir accès à ce qu’on appelle des soins avancés. Aussi, des paramédics qui se spécialisent, qui ont encore plus de capacités et qui peuvent encore mieux prendre en charge les patients qui en ont besoin.
Aussi, en poussant toujours sur la paramédicine communautaire qui, à notre avis, est quelque chose qui devrait devenir un pan important et qui pourrait vraiment contribuer à désengorger les salles d’urgence au Québec.

Alya Niang
Merci beaucoup, M. Gagnon, pour vos observations et pour avoir aidé les gens à comprendre le point de vue du personnel paramédical de première ligne. Merci encore.

David Gagnon
C’est moi qui vous remercie. Ce fut un plaisir.

Alya Niang
Maintenant, pour un aperçu du travail dans ces unités d’urgence débordées, nous nous joignons depuis la capitale nationale du Québec à la docteure Élise Pelletier, médecin d’urgence et directrice des services professionnels du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la capitale nationale. Bonjour, docteur Pelletier. Bienvenue au balado.

Élise Pelletier
Bonjour. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui.

Alya Niang
Merci. Alors, docteur Pelletier, vous êtes médecin urgentiste depuis combien d’années? Et si vous deviez décrire la situation actuelle par rapport à celle d’il y a quelques années en un mot, quel serait-il?

Élise Pelletier
Donc, ça fait 12 ans que je pratique la médecine d’urgence et si j’essaie de résumer en un mot, malheureusement, ça va être « détérioration » . Entre mon début de pratique en 2011 et maintenant, je vois quand même une augmentation phénoménale de l’achalandage, de l’acuité, à quel point les patients qui se présentent sont de plus en plus malades avec plusieurs pathologies, à quel point les personnes âgées fréquentent davantage nos urgences au Canada. Donc, tout ça fait que dans un quotidien de médecin d’urgence ou de soignant à l’urgence, clairement, on se pensait embourbés en 2011, mais c’est pas le cas. C’est un peu le cas. C’est un peu le cas. C’est rien à comparer le début de 2020.

Alya Niang
Parfait. Et pourquoi les patients attendent-ils si longtemps? Nous avons entendu parler de personnes qui ont attendu un lit pendant 48 heures et plus, les ambulanciers, toujours de terribles problèmes qui n’arrêtent pas. Pourquoi?

Élise Pelletier
En fait, c’est qu’il y a plusieurs raisons. Quand je l’explique, j’essaie vraiment de créer un peu une dichotomie, c’est-à-dire qu’il y a deux types de clientèles dans toutes les urgences au Canada. Il y a la clientèle sur pied, donc celle qui est en train de faire essayer d’avoir accès ou ont un problème qui leur semble urgent, ils se présentent sur pied, arrivent au triage et après ça, ils sont dirigés vers la salle d’attente, donc ce qu’on appelle la clientèle ambulatoire, et versus ce que vous avez mentionné avec les paramédics, la clientèle âgée qui arrive peut-être avec des problèmes plus aigus et qui vont arriver en ambulance et qui vont être couchés sur civière.
Ces deux clientèles-là, l’encombrement des urgences, les raisons pourquoi c’est difficile pour ces deux clientèles-là, c’est très différent, l’attente. Donc, pour les gens qui sont dans la salle d’attente, justement, donc la clientèle ambulatoire, des fois, ça peut paraître très long, mais souvent, c’est que le médecin est occupé à aller traiter les gens qui sont sur civière, et même dans certaines situations, dans certains hôpitaux au Canada, il y a tellement de clientèles qui attendent des lits hospitaliers que ce qu’on appelle les cubicules, les endroits où examiner les patients dans les salles d’attente, sont remplis de patients couchés, versus présentement, la clientèle sur civière, qui attend d’avoir un lit hospitalier, bien, le problème actuellement au Canada, c’est justement l’accès aux lits hospitaliers, la fameuse capacité hospitalière à avoir de cette clientèle-là qui monte vers les étages pour être hospitalisée pour sa pneumonie, pour son appendicite, pour ce genre de choses là qu’on ne peut pas traiter ailleurs qu’à l’hôpital.
Donc, c’est ce qui fait que présentement, on a tellement peu de lits hospitaliers au Canada, ça fait que tout refoule vers l’urgence, puis à ce moment-là, ça crée un cercle vicieux, parce que là, à ce moment-là, il y a un goulot d’étranglement vraiment important, et c’est ce qui fait que les gens attendent de plus en plus longtemps au Canada, année après année.

Alya Niang
Personnellement, j’en ai fait l’expérience, il y a de cela quatre mois à peu près. J’ai passé plus de dix heures en urgence avec mon époux et ma fille de trois ans et demi. C’est clair que quand je suis arrivée, j’ai reçu les premiers soins assez rapidement, puisque j’avais des douleurs thoraciques, mais franchement, par la suite, pour voir un médecin, je ne m’attendais vraiment pas à patienter dix heures pour cela. L’attente était juste pénible.

Élise Pelletier
Mais ça, c’est malheureux, mais c’est riche. Il faut avoir des gens comme vous qui nous expliquent comment ils l’ont vécu, puis après ça, pour quand on entend ça, puis on fait « mon Dieu, ça n’a pas de bon sens » , OK, qu’est-ce qu’on fait? Est-ce qu’on donne accès au délai d’attente, par exemple? Juste de ne pas savoir qu’il me reste cinq heures d’attente, bien, c’est rassurant. Pas que c’est le fun d’attendre cinq heures, mais c’est juste de ne pas savoir, c’est très anxiogène. C’est-à-dire, je n’aime pas ça de ne pas savoir, là, je disais que tous les humains sont comme ça.
Comprenez-vous, ça prend des gens comme vous autour de la table, de décideurs, de soignants, qui disent « bien là, OK, pour de vrai, ça n’a pas de bon sens, comment on fait pour changer ça? » Puis de se mettre dans les souliers des usagers, puis de me dire « oh my God, il n’y a personne qui ne voudrait pas savoir, il n’y a personne qui voudrait attendre une heure » ou « vos tests sont tous normaux, est-ce que vous êtes rassurés, voulez-vous aller à la maison? » Il y a plein de façons de redesigner ça, le système, comment on offre les soins, pour que ce soit de meilleure qualité. Puis ça prend des usagers comme vous, qui nous expliquent des affaires pas possibles, puis de dire « OK, pour de vrai, on va essayer de s’améliorer. » On ne pourra jamais avoir 100 %. Il y a tout le volet de la gestion de risque que je n’ai pas approché, mais qui est un autre aspect super important. Mais une fois ça dit, ça nous prend, celui-là, des partenariats avec des usagers, bien c’est exactement ça. C’est « je l’ai vécu, ce n’était pas agréable, est-ce qu’on peut, s’il vous plaît, changer la chose? »

Alya Niang
Ça, on ne dirait pas non. Et en fait, c’est la partie où, quand on demande « encore combien de temps? » , puis on nous dit « vous avez encore deux personnes devant vous, vous avez encore trois personnes devant vous. » Et ça semble prendre une éternité, ces trois personnes. Ça prend des heures et des heures et des heures. Et à un moment donné, voilà, des fois, on peut comprendre peut-être que certaines personnes perdent patience, mais également, on doit vraiment se rassurer de garder son sang-froid, de garder le respect vis-à-vis des travailleurs. Ça aussi, c’est très important. Donc, j’imagine vraiment que c’est beaucoup de tension. Pour tout le monde, et pour le patient, et pour les travailleurs.

Élise Pelletier
Mais quand les gens viennent à l’urgence, ils sont vulnérables. Tu sais, clairement, il y a personne que je connais qui va à l’urgence par plaisir. Les gens pensent qu’ils ont quelque chose de sérieux. Vous faites bien de le mentionner parce que, tu sais, ça aussi, il y a des bonnes études. Il y a vraiment une augmentation de la violence dans les urgences. Les gens sont stressés, dépourvus, attendent longtemps, puis malheureusement, il va y avoir de la violence verbale et physique auprès du personnel, auprès des médecins, ce qui ne fait aucun sens parce qu’on est… Je comprends qu’on subit la conséquence de tout ça. Mais on est là pour aider. Ça me fait toujours de la peine quand j’en entends, puis c’est rendu quotidien. Mais c’est justement, on le sait, c’est un symptôme. Les gens ne sont pas violents parce qu’ils veulent être violents. Ils sont violents parce qu’ils attendent, parce qu’ils sont inquiets, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils ont ci, parce qu’ils ont ça. Comment on fait pour le travailler en amont?
Ça n’excuse pas le fait qu’il ne faut pas… Je veux dire, ça n’excuse pas le fait d’avoir un comportement violent. Il ne le faut pas. Mais il faut aussi comprendre la cause souche de « Mais voyons, qu’est-ce qui s’est passé? » C’est un peu ça. Vous avez raison.

Alya Niang
En effet. Et quels sont les risques avec une situation pareille?

Élise Pelletier
En fait, c’est ce qui est fascinant quand on y pense. Parce que l’urgence, c’est l’endroit qui est le plus risqué dans un hôpital parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver. On ne sait pas qu’il peut y avoir un autobus qui fait un accident avec plein de jeunes enfants qui vont se présenter. On ne sait pas s’il va y avoir 2, 4, 8, 10 ambulances avec des AVC, des infarctus. C’est l’endroit le plus critique d’un hôpital où il y a plus d’inconnus. Mais malheureusement, c’est aussi l’endroit où on absorbe cette surcapacité-là. C’est-à-dire, il n’y a pas de lits aux étages, ils vont rester à l’urgence. Il y a plein de clientèles qui n’ont pas accès à un médecin de famille ou je ne sais pas quoi, ils vont être à l’urgence.
La conséquence, c’est… On le voit dans les études scientifiques, il y a une augmentation des accidents, incidents avec la clientèle. On le sait aussi pour la population âgée et débilitée. Plus on passe d’heures sur une civière à l’urgence, plus la mortalité augmente. Donc, ce n’est pas bénin : les gens âgés qui restent sur une civière plus qu’en fait, les études anglaises, entre autres, parlaient de plus que six à huit heures, on le sait qu’il y a un risque de mortalité accru. Donc, c’est majeur. On le sait qu’à chaque jour au Canada, il y a probablement des gens qui vont décéder du fait d’avoir passé trop de temps à l’urgence sur une civière.

Alya Niang
Docteur Pelletier, on a vu des responsables provinciaux de la santé au Québec ainsi que dans d’autres provinces qui ont écrit des lettres avertissant les patients d’éviter les urgences. Quelle a été votre réaction à cela?

Élise Pelletier
Oui, c’est qu’encore une fois, dans un contexte où on a l’impression que le volume augmente, puis c’est en fait statistiquement, on le voit, je regardais les statistiques justement de l’Institut de la statistique qui montrait qu’on avait augmenté d’un million de visites au Québec en 2021-2022, 2022-2023. C’est un million, c’est beaucoup. Dans ce volume-là important, quand les soigneurs disent qu’il y a plein de gens qui viennent à l’urgence pour rien, mais c’est la perception du soignant, le client qui se présente, l’humain qui pense qu’il y a quelque chose, lui, il ne pense pas qu’il vient pour rien à l’urgence, il pense qu’il a besoin. Dans le fond, c’est que c’est peut-être une manœuvre qui manquait un peu de tact, si je peux me permettre, d’essayer de dire à la population « essayez de voir s’il y a d’autres options. »
C’est là où c’est aussi une responsabilité gouvernementale de développer ce qu’on appelle la littératie. C’est-à-dire que moi, comme humain, qui dois consulter, est-ce que mes symptômes sont graves? Est-ce que j’ai besoin premièrement de consulter un médecin? Peut-être que non. Est-ce que je peux aller voir ailleurs? Comment je fais pour m’éduquer, moi, comme citoyen? Cette partie-là, présentement, elle n’est pas très développée dans aucune province canadienne. C’est le nerf de la guerre, justement, pour éviter de surconsommer les soins de santé.

Alya Niang
C’est sûr que l’encombrement des services d’urgence est un phénomène multifactoriel. Mais pourrait-on dire que la pénurie de médecins de famille en est une cause? Parce que parfois, on peut se retrouver dans une situation délicate. On est dans une incertitude où peut-être aller aux urgences n’aurait pas été vraiment nécessaire, si on en avait un, pour se faire consulter assez rapidement.

Élise Pelletier
En fait, je dis toujours, l’encombrement des urgences, c’est le symptôme du système de santé canadien. Si on est encombré, on a l’impression de ne plus bien répondre à la population dans les urgences. C’est qu’il y a plein de facteurs qui font que ça ne fonctionne pas. Je vous ai parlé de la capacité hospitalière. On est le pays avec le plus bas taux de lit par 100 000 habitants. Donc ça, c’est sûr que dans un système actuel très hospitalo-centriste, c’est un enjeu. Ensuite de ça, on a une pénurie de médecins de famille. Puis le rôle des médecins de famille qui est à redéfinir aussi. Dans mon nouveau rôle actuellement, je côtoie des médecins de famille qui travaillent vraiment fort, mais qui, dans les cinq dernières années, ont doublé le nombre de formulaires à remplir. Leur plus-value n’est vraiment pas optimisée. Vous avez tout à fait raison, c’est un facteur. Puis le fait que, si vous allez sur Google, quand vous avez mal à la tête puis vous tapez mal de tête, on vous donne un diagnostic de méningite ou de cancer du cerveau. L’information pour la patientèle sur Internet, sur les réseaux sociaux, malheureusement, elle n’est pas de qualité et elle est anxiogène. Ce qui fait que ça aussi, ça va m’amener à consulter.
Comme maman, j’ai un enfant qui fait de la fièvre, puis j’écris ça, ils vont tout de suite me dire qu’il est en train de mourir de je ne sais pas quoi. Je me dirige aux urgences. Je suis une bonne mère. Vous comprenez que c’est vraiment… Puis avec une démographie ; au Québec, c’est très particulier, plus qu’ailleurs au Canada. Notre démographie sur le taux de personnes de 75 ans est plus, est effarante. Mais cette clientèle-là, on le sait, 90 % de l’utilisation des soins de santé sont dans la dernière année de vie. Plus vous avez de personnes âgées, plus vous avez besoin d’avoir des soins. Mais là, ça ne fonctionne pas. Voyez-vous que c’est très complexe.
Il faut réfléchir à l’urgence vraiment comme un symptôme de système, puis regarder toutes les parties du système, puis essayer d’aller chercher des solutions dans chacune de ces parties-là, parce que ça fait un tout à l’ensuite de ça. Mais c’est très complexe. Vous avez raison, l’accès à un médecin de première ligne fait partie des enjeux. Pourquoi l’urgence est encombrée, c’est tout à fait vrai.

Alya Niang
Effectivement, mon médecin de famille, elle est à la retraite. Donc là, je suis orpheline, comme on dit. Et je sais qu’il y a des moments où, quand j’ai eu besoin de voir mon médecin de famille, peut-être j’appelle aujourd’hui, soit je peux y aller aujourd’hui même, peut-être le lendemain ou le surlendemain. Mais maintenant je me rends compte que j’ai besoin de voir un médecin, ça me prend comme une semaine pour pouvoir avoir un rendez-vous. Et des fois, si je me dis, est-ce que je peux attendre une semaine? Je me dis non, je préfère aller en urgence. Donc ça, en effet, ça pose problème.

Élise Pelletier
C’est que toutes les habitudes de consommation ont changé. La pandémie a été faramineuse pour ça. Avant, on était peut-être plus patient. On se disait, bon, OK, une semaine, ce n’est pas une urgence. Mais maintenant, quand on décide de consommer, que ce soit de la nourriture, des biens ou des services, les soins de santé sont des services, bien, là, c’est tout de suite maintenant. Puis c’est correct. Des fois, quand j’ai des discussions avec justement des gens qui gèrent les urgences, ils me disent, oui, mais Élise, il faut arrêter de comparer ça comme n’importe quel autre bien et service. Je dis, oui et non. Je veux dire, il faut arrêter de penser que les citoyens sont dans le tort et devraient consommer différemment. C’est une habitude que les gens ont pris. Je suis comme ça aussi. Moi, je suis comme vous. Quand j’ai besoin de voir mon médecin de famille, oui, j’aurais pu y penser la semaine passée…

Alya Niang
Effectivement…

Élise Pelletier
… mais là, c’est aujourd’hui que je voudrais consommer. Est-ce qu’elle est disponible? Non. Qu’est-ce que je fais? Mais c’est comme ça pour tout le monde. Puis oui, la journée où on se casse un bras, bien, ça, ça va de soi. On va aller à l’urgence. On le sait qu’on est là pour ça. Mais pour tout ce qui est des choses semi-aiguës, malheureusement, on a peu d’offres de services. Puis c’est là où, encore une fois, comme soignant, il faut se regarder dans le miroir, dans le réseau, puis se dire comment on fait pour donner accès. Il y a une proportion de notre clientèle à l’urgence aussi, que c’est des personnes qui sont suivies par des médecins spécialistes, des cardiologues, des gastro-entérologues.
Puis la journée où ils ont une complication de leur maladie chronique, essaie d’appeler, par exemple, le cardiologue. Puis là, on dit, bien non, vous ne pouvez pas, allez aux urgences. C’est le conseil que toute bonne secrétaire va donner dans le réseau. S’il y a un problème, allez aux urgences. Mais on ne peut plus, comme société canadienne, gérer notre réseau comme ça. Ça ne fonctionnera pas, malheureusement. On embourbe encore plus dans notre goulot, qui est la une seule porte d’entrée présentement, qui est l’urgence.

Alya Niang
Exactement. Et, docteur Pelletier, certaines urgences ferment et dont un bon nombre de fermetures pendant des heures ou des jours, surtout dans les régions rurales. Et dans quelques cas, les fermetures sont permanentes. Étant donné que les urgences sont la dernière ligne de défense pour les patients, et dont plus de 6 millions n’ont pas de médecins de famille, je pense que cela soulève la question des erreurs médicales. Et on a également signalé des cas de décès de patients au Québec, après avoir attendu pour des soins dans des urgences débordées. Et également, comme l’a dit le docteur Worrell à Ottawa, entre 8 000 et 15 000 patients meurent à cause des urgences surpeuplées. S’agit-il d’une tactique de peur?

Élise Pelletier
C’est une bonne question. Je pense que beaucoup de mes concitoyens médecins d’urgence essaient, en fait, de faire de trouver une façon de sensibiliser les décideurs. Est-ce que c’est une tactique de peur? Oui et non. C’est-à-dire que c’est scientifiquement prouvé que, je vous l’ai mentionné, les longs délais, ce genre de choses là. D’un autre côté, je n’aime pas utiliser ces techniques-là, bien sincèrement. Je suis plutôt en mode solution, à me dire, OK, comment on fait pour que ça fonctionne? Comment on fait pour éviter ce genre de choses là qui sont catastrophiques? Mais ceci dit, je suis très consciente de ça. Puis oui, ça a fait les médias cet été, entre autres, toutes les fermetures d’urgence rurales. Ça, c’est très complexe, parce que je vous parlais d’encombrement des urgences, qui est un phénomène beaucoup plus urbain, des urgences à haut volume.
Les urgences rurales, c’est complètement différent. Oui, on a des urgences rurales qui peuvent être encombrées, mais souvent, comme vous dites, c’est le dernier rempart dans une région qui donne un accès populationnel à plusieurs petites communautés. Quand on dit « on ferme une urgence rurale » , toute cette clientèle-là doit aller se diriger ailleurs. Mais là, on va aller à un endroit où c’est sûr, c’est déjà, encombré, fait qu’on se crée malheureusement encore une fois un problème. C’est vraiment complexe, c’est vraiment une spécialité à part la médecine d’urgence rurale, puis c’est là où il faut le réfléchir. Le Québec est un peu différent du reste du Canada. On a quand même des urgences rurales en grande quantité qui fonctionnent quand même relativement bien. On n’est pas à risque de fermeture, ça arrive à l’occasion, mais il y a vraiment une volonté, à date, gouvernementale forte de ne pas fermer des urgences un peu partout au Québec. Ça, on est quand même chanceux. C’est important de le comprendre aussi.
Parfait, on ferme l’urgence, comment on donne accès à notre population, puis comment pour la chose grave et aiguë, je reprends la jambe cassée, l’accident de voiture, l’infarctus, comment je fais pour que la personne qui habite maintenant, au lieu d’être à 20 minutes, habite à une heure et 20 minutes de l’urgence à plus proche, comment je fais pour qu’elle ait les mêmes services qu’une personne qui vit en proximité d’une urgence? C’est ça, souvent, qui est la chose aussi qui est déplorable, c’est de le réfléchir. De réfléchir aux conséquences, puis d’organiser nos soins en milieu rural pour que tout le monde ait un accès de base uniforme. Je pense que c’est ça qui est un peu désolant.
Fait que oui, je suis d’accord que ça fait peur quand on entend les statistiques que vous avez mentionnées, quand on entend des expériences vécues, des patients qui décèdent d’avoir attendu, puis c’est là où l’erreur médicale, c’est l’erreur de système, en fait. C’est facile. Tu sais moi, comme médecin d’urgence, c’est ma hantise de penser que j’ai quelqu’un dans ma salle d’attente qui vivrait les conséquences d’avoir attendu trop longtemps parce qu’elle s’est présentée de façon atypique ou des choses comme ça. Mais personne ne veut ça jamais, comprenez. Tout le monde veut le bien de la population qu’elle dessert, sauf que c’est un danger quand, évidemment, on ferme des urgences ou quand les urgences sont à pleine capacité, puis qu’il arrive une erreur. On le sait tous, puis on ne veut pas que ça arrive. C’est pour ça qu’il faut travailler en amont. Vous avez parlé des médecins de famille. Il faut travailler en aval, qui est tous les soins à domicile, l’hospitalisation à domicile, la capacité hospitalière, puis à ce moment-là, la fluidité au niveau de l’urgence va s’améliorer d’elle-même.

Alya Niang
Parfait. Et que voyez-vous arriver aux infirmières et aux autres employés des urgences? Parce que c’est sûr qu’il y a beaucoup de tensions. Qu’est-ce que vous voyez arriver à ces derniers?

Élise Pelletier
Il y a beaucoup d’épuisement de toutes parts. En fait, c’est sûr que moi, c’est mon domaine, c’est la médecine d’urgence, mais je regarde mes collègues en médecine spécialisée, mes amis chirurgiens, mes amis médecins de famille. La pandémie a accentué tous les bobos du système, puis là, on arrive à un temps où les gens sont épuisés, puis il y a un changement générationnel aussi, ce qui fait que tous les secteurs qu’on appelle 24-7, donc le bloc opératoire, les soins intensifs, l’hospitalisation, la salle d’urgence, malheureusement, ce n’est plus glamour comme c’était. Les gens aiment encore faire des soins critiques, mais pas au péril de leur vie et de leur qualité de vie.
Ce qui fait que ça devient très exigeant au niveau de la famille, justement au niveau, comme je disais, de la qualité de vie, ce qui fait que là, on est de moins en moins populaire dans nos secteurs, et l’épuisement est vraiment important, et on vient de parler d’erreurs médicales, les gens ont peur aussi qu’il y ait des erreurs, qu’on donne des mauvais soins, parce qu’à la base, tout le monde entre dans le réseau de la santé, que ce soit travailleurs sociaux, infirmiers, infirmières, préposés aux bénéficiaires ou médecins, parce qu’on veut aider les gens, puis qu’on a l’impression de mal les aider, ça devient lourd, on a une imputabilité qui devient encore plus importante, puis ça devient difficile au quotidien à vivre. C’est quelque chose qui n’est vraiment pas évident.
Je pense que moi, dans mon rôle de médecin d’urgence, puis dans le rôle des médecins d’urgence aussi, on a vraiment quelque chose qui est en train de se changer dans le travail d’équipe, on essaie de se partager la responsabilité, ou quand on est en pénurie de personnel, je vais aller aider mon ami infirmière à aller changer un patient parce qu’il n’y a pas de préposé, aller diriger des clients âgés vers la salle de radiologie, parce qu’il n’y a personne, c’est aussi de se partager tout ça ensemble. Ça reste une pratique magnifique, ça reste qu’on sauve des vies, qu’on soigne des malades, puis c’est un travail merveilleux, mais il ne faut pas non plus, parce qu’on sait que c’est un travail merveilleux, se mettre des œillères, puis dire non, non, tout va bien, tout va bien, tout ne va pas bien, puis c’est là où il faut trouver l’équilibre, puis c’est là où, comme je disais, dans le changement générationnel, les plus jeunes infirmiers, infirmières, les plus jeunes travailleurs ne veulent plus faire leur classe, ne veulent plus avoir une mauvaise qualité de vie pendant 15 ans, en disant un jour, ça va être à mon tour, présentement, ils rentrent sur le marché du travail en voulant des conditions similaires à des collègues qui sont là depuis 15-20 ans, puis ça, c’est quand même très challengeant, je m’excuse l’anglicisme, mais c’est très challengeant aussi pour les équipes sur comment on gère tout ça. Puis je n’ai pas de solution, encore une fois, il n’y a pas de baguette magique, parce que sinon, je présume que quelqu’un l’aurait déjà fait, mais c’est d’en être conscient, puis de le verbaliser, je pense, moi, c’est l’étape 1 de la guérison, là, avec les patients, on fait la même chose, on dit, bien, accepter la maladie, puis dire qu’on va la soigner, bien, c’est comme ça dans le réseau aussi, c’est de faire des constats, puis après ça, c’est d’être sans jugement, puis dire, bien, c’est comme ça, comment on fait maintenant pour être meilleur?
Je trouve ça, tu sais, de voir des collègues pleurer à la fin de leur quart de travail, ou de, tu sais, d’entendre, comme je disais, tout le monde qui est un peu à bout de souffle, de voir que la demande augmente, augmente, augmente, puis qu’on est à pleine capacité, ça, c’est quand même quelque chose qui est un peu épeurant.

Alya Niang
Et votre dernier commentaire touche à ma prochaine question. Quels sont les dommages causés au personnel et à sa fidélisation?

Élise Pelletier
Ah, ils sont quand même importants, puis encore une fois, on essaie fort que ça s’améliore, c’est pas que les gestionnaires, je suis une gestionnaire maintenant, c’est pas que les gens n’essaient pas, c’est que c’est vraiment, il faut revoir complètement, c’est comme faire un virage à 90 degrés dans comment on gère notre personnel, comment on gère nos services, comment on utilise les technologies, comment on innove. Mais clairement, ça a un impact. En 12 ans de pratiques à l’urgence, puis c’est comme ça pour tous les médecins d’urgence au Canada que je connais, avant, on était une équipe relativement stable, c’est-à-dire qu’on se connaissait le soir, la nuit, le matin, on voyait à peu près toujours les mêmes personnes, puis là, de plus en plus, on voit les gens quitter ou essayer pendant un an et demi, par exemple, la pratique en soins infirmiers d’urgence, puis aller vers d’autres types de services parce que c’est trop lourd. On ne veut pas faire de temps supplémentaire parce que, parce que. Ça, c’est quand même un impact.
Je sais qu’il y a beaucoup de travail qui est fait justement pour tout ce qui est de la prévention, d’avoir un milieu de travail sain, d’éviter le harcèlement. Ça, ça a quand même beaucoup évolué de façon positive, mais il n’en demeure pas moins que c’est quand même quelque chose qu’on voit. Écoutez, sur certains cas de travail, j’écoutais des collègues dans d’autres milieux, les plus anciens ont deux ans d’ancienneté. Ça ne fait pas de sens. Avant, être à l’urgence, il fait déjà 8-10 ans avant d’arriver à l’urgence, puis maintenant, ce n’est plus ça du tout, du tout. Fait que oui, ça a un impact quand même sur la gestion des équipes. Je pense que les gens sont quand même de bonne foi, essaient de s’améliorer. C’est vraiment, pour moi, c’est un changement de culture assez profond qui doit être opéré dans notre réseau pour pouvoir justement fidéliser notre, on parle d’infirmières, mais tous nos professionnels, incluant les médecins, c’est vraiment, il faut voir ça différemment.

Alya Niang
Qu’est-ce qui peut être corrigé et rapidement? Si vous deviez me donner une liste rapide de trois choses concrètes pour améliorer le flux de travail des urgences, quelles seraient-elles?

Élise Pelletier
Augmenter de façon très importante tout ce qui est maintien à domicile de la clientèle âgée, donc d’avoir des médecins de famille qui se déplacent, bien des médecins, vous n’êtes pas obligés d’être juste des médecins de famille, d’avoir des médecins qui vont à domicile, d’avoir vraiment des hospitalisations à domicile, d’avoir toute cette couverture-là de, comme je vous disais, de la personne âgée qui est un petit peu débilitée de son problème de santé aiguë, mais qui n’a pas du plateau technique hospitalier. Donc, on développe ça de façon importante. Concrètement, demain matin, on diminue notre poids sur notre nombre de lits hospitaliers, ce qui fait qu’on peut opérer plus de patients, puis qu’on peut faire plus de choses en électif. Ça, pour moi, c’est une priorité de restructurer notre réseau de santé, non plus dans l’hôpital, mais dans la communauté. D’utiliser la communauté, ça, c’est très concret pour moi, puis ça va faire que les gens vont moins se présenter aux urgences, et s’ils ont besoin d’être hospitalisés, on puisse le faire à domicile, ça, pour moi, c’est la première des choses.
La deuxième des choses, c’est d’écouter le citoyen qui veut consommer des soins, puis voir comment on peut lui offrir. Au Québec, il y a de plus en plus de portes à aller cogner pour avoir accès. Il y a plein de numéros de téléphone, il y a plein de façons de le consommer. Ça devient compliqué. Moi-même, comme maman, puis comme citoyenne, je veux consommer un soin, je trouve ça difficile. De rendre ça simple, un numéro de téléphone, on donne soit un rendez-vous avec un professionnel de la santé ou un médecin, ça n’a pas besoin d’être un médecin, mais que ce soit un universel pour tout le monde, puis d’essayer de soutenir nos médecins de famille pour qu’ils puissent prendre en charge leur clientèle de façon globale. Ça aussi, ça a l’air des beaux mots, mais ce n’est pas si compliqué. Ça peut se faire très facilement. Vous avez donc, pour votre population active, pas une augmentation de l’offre, mais une offre différente. Pour votre clientèle âgée, vous avez une façon de les soutenir, puis de leur donner une qualité de vie, puis de les hospitaliser à domicile. Vous travaillez, comme je disais, en amont et en aval.
Puis après ça, dans l’hôpital, vous avez une façon de les soutenir, puis de leur donner une qualité de vie. Clairement, je regardais les statistiques de durée d’hospitalisation. On a encore des croûtes à manger si on regarde ailleurs dans le monde. Au Canada, on hospitalise longtemps, comparé à beaucoup d’autres pays qui ont des systèmes de santé publics. Donc ça aussi, je pense que d’améliorer tout ce qui est la fluidité hospitalière, ça va être vraiment quelque chose qui est de façon très concrète à travailler.
Encore une fois, c’est des vœux pieux, dans le sens, alors facile à faire, mais ce n’est pas si facile à faire que ça. Mais ceci dit, en le mesurant, puis en le montrant aussi, je pense que comme métier, tiens, moi, d’avoir un bulletin et de dire que j’hospitalise plus longtemps, par exemple, bien, j’aimerais ça le savoir. Je pense que ça fait partie — il faut vraiment travailler en partenariat avec les patients, avec les soignants. C’est la seule façon qu’on va y arriver.

Alya Niang
Exactement. Docteur Pelletier, merci beaucoup d’avoir participé à ce balado. Et nous gardons espoir pour de meilleurs jours dans le secteur des soins d’urgence.

Élise Pelletier
Ça m’a fait plaisir. Puis oui, il faut garder espoir.

Alya Niang
Parfait, parfait. Merci beaucoup encore. Le site Web de l’ICIS contient beaucoup plus de données sur les soins d’urgence qui sont régulièrement mis à jour. Veuillez consulter le site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé : icis.ca. I-C-I-S.ca. Nous aimerions également avoir de vos nouvelles si vous avez été touché.
Merci d’avoir pris le temps de nous écouter. Notre producteur exécutif est Jonathan Kuhlein, et un grand merci à Heather Balmain, notre assistante, et Avis Favaro, l’animatrice du balado de l’ICIS en anglais. Abonnez-vous au balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix. Ici Alya Niang, à la prochaine.
 

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